jeudi 16 juillet 2015

Sur la platine de Pierre Durand

Accompagné de sa guitare, il propose une sieste musicale aujourd'hui à 16h, place du Moulin sous la Tour. 



Steal Away - Hank Jones & Charlie Haden (Verve)


« Hank Jones est un artiste que j’admire profondément. Il est décédé il y a quelques années dans l’indifférence quasi générale. Il est pour moi la figure du sage en musique. Il n’a eu qu’un maître : le morceau qu’il jouait. Très franchement, je connais très peu de musiciens qui sont capables de cette humilité : mettre leur ego au service d’un morceau, le don de soi le plus absolu pour un musicien. Avec lui, jamais un morceau n’a été prétexte à solo ou à tirer la couverture vers soi, quitte à trahir le morceau. Je n’ai entendu qu’un autre pianiste arriver à cette prouesse : briller en mettant en valeur un morceau, sans le trahir. À ma connaissance, c’est Keith Jarrett.

Ce disque avec « The Oracle » (qui comprend Dave Holland & Billy Higgins) est un chef d’œuvre d’humilité où des artistes mettent leur ego au service non pas la musique, mais du morceau qu’ils jouent. Ce qui est différent. Le morceau devient alors une histoire à part entière, il a une existence propre avec un passé et un futur. Le morceau leur survivra car ces deux géants de la musique, Hank Jones et Charlie Haden, ont su par leur génie magnifier ce répertoire, le restaurer, en bref : lui donner une seconde vie. J’ai en tête Hank Jones pendant l’enregistrement du solo, il se mettait au service du morceau et avait un sens de la forme musicale incomparable. »



Rain Dogs - Marc Ribot alias Tom Waits (Island records)


« J’ai choisi cet album, qui n’est pas enregistré sous son nom, à dessein, pour faire connaître ce guitariste par le plus grand nombre. Marc Ribot est un mec génial. Il a joué pour tout le monde : Robert Plant, Ornette Coleman, Mc Coy Tyner, Bashung, Marianne Faithfull, Elvis Costello, Solomon Burke… Et bien d’autres encore. Sous son nom, on ne sait jamais ce qu’il va faire : rock, salsa, musique de films… Il est d’une créativité inouïe. C’est un modèle pour moi, il me sert de référant dans sa quête de liberté, dans sa démarche d’être un musicien « tout terrain » sans être un caméléon. Il aime le punk, le rock, la musique classique, contemporaine, le blues, le free, le jazz, la chanson. Ce qu’il fait est exemplaire : il fait entendre son côté punk quand il joue dans un esthétique jazz, il fait entendre son côté rock quand il joue du contemporain, etc.

Bref, il ne renie rien de ce qui le constitue, au contraire, il fait tout cohabiter… Et ça marche du tonnerre, c’est complètement cohérent. Au fond, c’est ça qu’on appelle avoir une vraie personnalité… Du coup, il est libre tout en revendiquant, il se fixe des contraintes précises pour être créatif. Je l’ai écouté en concert plusieurs fois dont une en solo, peu de temps avant d’enregistrer à la Nouvelle-Orléans. C’était génial à voir, il faisait la première partie d’une grosse formation composée de nombreux musiciens avec une moyenne d’âge comprise entre 20 et 35 ans. Eh bien celui qui jouait la musique la plus jeune d’esprit, la plus créative et celui que prenait le plus de risques, c’était lui : un mec de 60 ans, tout seul avec sa guitare. Il m’inspire pour tout cela. »


Dans la brume électrique avec les morts confédérés - James Lee Burke (Rivages)


« Je suis obligé de citer un écrivain, j’ai lu plus de livres que je n’ai écouté de musique. Les livres et le cinéma sont des sources indispensables d’inspiration musicale.

Sans l’immense écrivain James Lee Burke, je ne serai jamais allé enregistrer ce disque en solo. Je l’ai découvert par hasard à la fin des années 90. Il a écrit des romans se passant au Texas puis dans le Montana avec son personnage Billy Bob Holland. Il a écrit sur la Nouvelle-Orléans, notamment avec son héros Dave Robicheaux. Il a écrit des romans magnifiques ne s’inscrivant pas dans ces 2 séries comme Vers une aube radieuse ou Half of Paradise. J’ai eu la chance de commencer par la première aventure de Dave Robicheaux, La pluie de néon. Je n’ai eu depuis qu’à suivre l’ordre chronologique. C’était bien avant l’adaptation de Bertrand Tavernier avec Tommy Lee Jones.

Il y a du Faulkner dans son écriture, une profonde compassion pour le dernier des salauds. Il les dépeint au fond comme des hommes profondément malheureux, aveuglés par la colère qui les ronge, incapables et trop faibles pour affronter leur tourment intérieur. Cet écrivain m’a tellement marqué que lorsque j’ai passé mon prix au Cnsm de Paris, j’ai composé un morceau en ayant Dans la brume électrique… en tête. Je l’ai intitulé, « Tribute », c’est le premier morceau de mon prochain album, enregistré en 4tet cette fois, qui sortira à la fin de l’année. C’est James Lee Burke qui m’a fait comprendre que la Louisiane était un pays loin de correspondre aux clichés que le cinéma a pu véhiculer. Quand on le lit, on sent les odeurs, on voit les couleurs, on entend les bruits. Mon voyage là-bas m’a montré combien James Lee Burke est juste dans ces descriptions et comme la Nouvelle-Orléans est une ville qui a de nombreuses faces cachées. C’est un des très grands écrivains américains vivants dont le style ne ressemble à personne d’autres chez ses contemporains. Qui peut se vanter de cela de nos jours ? »

Propos recueilis par Myriam

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